Depuis quelques semaines, les poubelles du centre-ville se parent de rose fuschia. Elles font ainsi la promotion d’une "nouvelle solution de propreté publique" testée avec FostPlus. Chouette ! Une manière de lutter contre les déchets sauvages ? Non, une opérations de greenwashing du Collège communal. Inutile et, n’ayons pas peur des mots, carrément grotesque.

Une solution pour réduire les déchets sauvages ne peut qu’ intéresser toutes les personnes désolées de les voir polluer notre environnement. Nous nous sommes donc penché avec un grand intérêt sur ce que la Ville présente comme une manière de "faire changer les choses et les (mauvaises) habitudes". Allons-nous trouver là, enfin, une solution contre cette nuisance environnementale et limiter les incivilités ? Test.

Le principe semble une bonne idée : vous téléchargez l’application sur votre smartphone, puis, chaque fois que vous trouvez un déchet, vous prenez une photo, vous promettez de le déposer dans une poubelle de la ville et grâce à cela, vous recevez des points que vous pouvez échanger chez des commerçants.

On comprend très vite qu’il est possible de scanner n’importe quoi et d’être récompensé sur la simple promesse de jeter ce n’importe quoi dans la poubelle adéquate. J’ai même pu recevoir des points en scannant des choses que pour rien au monde je ne jetterais comme des livres de ma bibliothèque. Je ne pense pas que Mozart, Tolkien, Cavanna, Boris Vian ou Jacques Prévert seraient heureux d’apprendre qu’ils sont considérés comme des déchets par "Le Click".

De plus, j’ai pu scanner plusieurs fois le même objet. Une expérience répétée à plusieurs reprises et à plusieurs jours d’intervalle, sans que les "garde-fous qui empêchent de scanner plusieurs fois le même objet" annoncés dans la page de présentation de l’application [1] y trouvent à redire.
C’est donc une porte ouverte à la fraude.

Les inciviques jettent, les commerçants financent

On peut utiliser ces points récoltés chez des commerçants partenaires. Mais ils sont majoritairement en Flandre. Une douzaine de boutiques wavriennes ont accepté de jouer les cobayes. On peut se dire que les autres vont suivre, que ce n’est que le début. Surtout que Fost Plus leur promet, s’ils adhèrent au système, (je cite) "de faire venir ainsi une foule de nouveaux clients, touristes et visiteurs d’un jour". Est-il vraiment crédible de croire que, si un glacier wavrien promet un topping gratuit sur une boule de glace comme ses homologues de la côte, ce sont des bus entiers de visiteurs d’un jour qui se rueront vers notre ville ?

Mais ce n’est pas tout. La plupart des avantages sont liés à un achat. Non seulement c’est du pur consumérisme, on reçoit un avantage minuscule si on consomme plus, mais les géniaux créateurs de cette application la font donc financer, avec ces avantages qu’ils offrent, par les commerçants. On notera d’ailleurs que parmi ces "financiers" volontaires, on trouve Macavrac qui est une structure qui a justement, parmi ses vocations, celle de lutter contre les déchets en limitant les emballages.

Il y a une exception : il est aussi possible de donner ses points à Natuurpunt, qui recevra de l’argent pour planter 1 m2 de forêt par 100 points récoltés, soit 20 déchets. Mais cela présente un petit souci éthique. C’est Coca-Cola, l’un des pollueurs majeurs de la planète avec ses canettes et ses bouteilles en plastique, qui est derrière cet accord. Grâce à Fost Plus, cette multinationale s’offre une couche de greenwashing qui ne lui coûtera pas grand-chose tout en continuant à produire chaque jour des millions de déchets.

Qu’y gagneront les Wavriens ? On nous explique que cela permettra d’économiser jusqu’à 9.000 € par an. En échange, la Ville s’engage à isoler les déchets collectés, aller les porter dans un conteneur spécifique à Mont-St-Guibert, prendre en charge les frais de traitement des déchets résiduels qui ont été triés ainsi que les frais de fonctionnement pour la vidange plus fréquente de poubelles, etc. Tout cela pour moins de 180 € économisés par semaine ? Vraiment ?

Il faut tout faire pour éviter les déchets sauvages, à commencer par produire moins de déchets.

Mais cette application est une mauvaise bonne idée. Elle a peu de chances d’intéresser les personnes qui ramassent déjà des déchets car elles ne vont pas en plus perdre du temps à les scanner. Elle n’est en rien protégée contre la fraude et, en caricaturant à l’extrême, toute personne jetant un déchet sur le bord de la route pourra auparavant le scanner plusieurs fois et récupérer des points. Les promesses de Fost Plus d’amener une foule de nouveaux clients chez les commerçants ne sont absolument pas réalistes. Et, cerise sur le gâteau, cela offre une vitrine verte à un pollueur mondial.

Il faut continuer à chercher des solutions crédibles pour lutter contre les déchets sauvages, qui sont un réel problème, mais il ne sera en rien résolu par cet inutile gadget. La consigne des canettes et bouteilles plastiques nous semble une bien meilleure idée, mais il faut encore attendre que ce soit imposé au un plus haut niveau.

En attendant, la Ville de Wavre a sauté sur l’occasion pour s’offrir, elle aussi, une campagne de greenwashing [2] aux frais de quelques commerçants de la commune, grâce à cette application inutile, qui ne résoudra rien et tellement mal pensée qu’elle en devient grotesque.


[1Bonjour Wavre n°227, novembre/décembre 2023

[2Le greenwashing (ou « écoblanchiment » pour sa traduction française la plus usitée) est une stratégie de communication et de marketing adoptée par des entreprises ou autres organisations. Elle consiste à mettre en avant des arguments écologiques pour se forger auprès du public une image écoresponsable, alors que la réalité des faits ne correspond pas, ou insuffisamment, à la teneur explicite ou implicite des messages diffusés.

Par Patrick Pinchart

Patrick Pinchart a travaillé toute sa vie dans la communication. Animateur à la RTBF, rédacteur en chef de Spirou à deux reprises, éditeur de bande dessinée, agent pour auteurs (BD, littérature...), correcteur, éditorialiste polémiste, il a de multiples autres collaborations : militant pour Amnesty International, Ecolo, Greenpeace, le WWF. Entre autres... Il s’exprime ici en son nom propre et en aucun cas au nom de ces différentes organisations. Il est également brasseur, fondateur de la brasserie HOPposition.