Le projet était ambitieux, il a abouti. "La Sucrerie" est une salle de spectacle dotée des technologies modernes, mais bien plus que cela : sous l’appellation "hall polyvalent", elle dispose également d’une salle de projection, de nombreuses salles de réunions, d’un bar, d’un espace de restauration... le tout modulable selon les besoins. Le bâtiment est là. Il doit à présent exister.

Retour en enfance. Je suis à l’école primaire. Une fois par an, les élèves visitent avec leur instituteur la sucrerie et peuvent y déguster des pains de sucre. Adolescent, pour me rendre à l’athénée, je passe à vélo rue de l’Ermitage où je croise, chaque automne, des trains qui empruntent une courte voie de chemin de fer menant à l’entrée du bâtiment pour y livrer des tonnes de betteraves. Puis l’"optimisation économique" fait ses effets. La sucrerie de Wavre ferme ses portes.

Le site reprend vie grâce à l’installation d’un lieu pour les jeunes, un immense "roller skate" acrobatique, plus tard complété d’un Q-Zar, qui leur permet de se réunir et de pratiquer leur sport favori en toute sécurité. J’y amène mes enfants. Mais début années 2000, le bourgmestre Charles Aubecq dont la jeunesse est la dernière priorité, décide de le supprimer dans l’un de ses fameux ukases, contre l’avis des gestionnaires de ce lieu très fréquenté. Les jeunes sont mis à la rue et un chancre urbain se crée.

Finalement, une vingtaine d’années et vingt-cinq millions d’euros plus tard, le site renaît de ses cendres avec ce hall polyvalent dont les initiateurs insistent bien sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un centre culturel. Décision bizarre, puisqu’il n’y a aucune incompatibilité de fait entre les deux concepts. La culture sera donc limitée au château voisin, revu pour l’occasion.

Un projet colossal

Vingt-cinq millions, c’est une somme colossale pour une petite ville comme Wavre dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’est pas en pleine santé, comme en témoignent les nombreuses façades de commerces à l’abandon. Il va donc falloir faire vivre l’espace pour amortir ces investissements énormes (dont sept millions de subsides de la Province du Brabant wallon). Côté spectacles, la ville a mis toutes les chances de son côté en choisissant comme directeur artistique quelqu’un d’expérimenté, Patrick De Longrée, créateur de Del Diffusion à qui l’on doit les spectacles de l’abbaye de Villers-la-Ville et d’autres spectacles à l’Aula Magna.

La Sucrerie se pose en concurrent direct de cette salle puisqu’elle a les mêmes capacités. Elle va donc devoir convaincre de ses spécificités. Parmi celles-ci, elle offre plus de souplesse de par sa conception. En effet, si au départ sa capacité de 880 places la met au niveau d’une salle de taille moyenne comme L’Ancienne Belgique (et l’on espère qu’elle aura l’acoustique et la convivialité exceptionnelles de cette salle mythique), les rangées de sièges peuvent être retirées afin de permettre à des spectateurs de rester debout. Ce qui, pour un public jeune comme celui qui assistera au concert de Kid Noize, est bien plus adapté. Ses capacités grimpent alors à 1300 places.

Un challenge de taille

Assurer une programmation différenciée sur le long terme est un sérieux challenge. D’autant plus qu’à proximité, outre l’Aula Magna, coexistent des salles comme la Ferme du Biéreau, le centre culturel d’Ottignies et un théâtre renommé, le théâtre Jean Vilar. Ce qui fait beaucoup. L’équipe en place assure qu’elle veut apporter une complémentarité à ces lieux déjà bien installés. La première étape sera de le démontrer en se définissant une identité.

Différents festivals sont déjà bien implantés : Macamagie, le festival du Rire, Wacolor, MacaDanse. D’autres associations locales pourraient y avoir accès, pour peu que le prix d’accès leur soit accessible, afin que le hall soit le plus actif possible. La modularité des salles le permet. La salle de projection provoquera-t-elle la renaissance d’un ciné-club ? Rappelons que, depuis près de vingt ans, Wavre n’a plus de cinéma. Tué par l’arrivée de l’UGC, "Le Palace", l’un des rares cinémas de quartier du Brabant wallon qui avait résisté à la télévision et à la périphérisation des villes, avait fermé ses portes en 2002.

Quels spectacles pour quel public ?

Restera à convaincre un public extérieur à Wavre. Et donc être tout aussi ambitieux dans le choix des spectacles que dans la conception du bâtiment. Si des artistes internationaux se produisent dans les salles bruxelloises, accepteront-ils de prendre le risque de se rendre dans une petite ville de province ? Le public potentiel est là, car pour de nombreux Wallons, se rendre à Bruxelles avec les problèmes immenses de mobilité que connaît la capitale est devenu un obstacle insurmontable.

Pour s’assurer le plus de chances de rentabilité, la Sucrerie mise sur le milieu des affaires. Patrick De Longrée annonce vouloir en faire "un lieu ouvert aux entreprises pour placer Wavre sur la carte des rencontres économiques, des événements d’entreprises, des forums, des foires et des salons." Il y a effectivement une carte à jouer là, vu le nombre d’entreprises installées dans le Brabant wallon. La proximité d’une gare est un argument de poids, les participants pouvant faire le choix des transports en commun plutôt que la voiture. Bon, soyons lucides : tant que les voitures de société seront tellement nombreuses en Belgique, cela ne sera pas le cas pour cette cible privilégiée.

Pour les spectacles, ce sera un atout... à condition que la SNCB joue le jeu. Car, avec la diminution des transports en commun qu’a connue la Belgique ces dernières décennies, le dernier train partant de Wavre, que ce soit vers Ottignies ou Louvain, est aux alentours de 22h30. À nouveau, beaucoup de personnes n’auront d’autre choix que d’utiliser leur voiture. Et, là, la capacité de 250 places du parking (plus celles du parking des mésanges) risque d’être rapidement atteinte si un spectacle a du succès... ce qu’on ne peut que souhaiter.

Quelle intégration avec la vie de la Cité ?

Un dernier point important à régler : le soutien que pourra apporter ce hall à l’Horeca mal en point de Wavre. A partir du moment où les entreprises qui se réunissent là disposent d’un espace de restauration, quel intérêt de se déplacer dans l’un des restaurants de Wavre ? Si, à la fin du spectacle, on y dispose d’un bar, pourquoi se rendre, par exemple, au Beer Therapy pour y découvrir une bière artisanale, à la Rhumerie pour y déguster un cocktail, ou dans l’un des cafés de Wavre pour y boire un dernier verre plus classique ou un café ? Quelle connexion l’équipe va-t-elle faire avec ces commerces de Wavre pour les aider à survivre dans une ville de plus en plus désertée ? Finalement, c’est l’argent des Wavriens qui a servi à créer cet ensemble, c’est à eux que doivent en priorité bénéficier des retombées. Entre la Sucrerie et le centre-ville, il y a moins de dix minutes. Pratiquement, qu’est-ce qui sera fait pour pousser les spectateurs à y aller ? En quoi y aura-t-il une synergie pour y attirer du monde ?

La Sucrerie est donc née. On lui souhaite une longue vie. Et de nombreux enfants sous la forme de spectacles à succès bénéficiant aux Wavriens car la culture est là pour rendre les gens heureux. Ce qui me ramène à l’une de mes interrogations : pourquoi n’avoir pas fait de ce lieu un centre culturel ? A ce jour, dans tout ce que j’ai pu lire à son propos, je n’ai pas trouvé de réponse cohérente.

Par Patrick Pinchart

Patrick Pinchart a travaillé toute sa vie dans la communication. Animateur à la RTBF, rédacteur en chef de Spirou à deux reprises, éditeur de bande dessinée, agent pour auteurs (BD, littérature...), correcteur, éditorialiste polémiste, il a de multiples autres collaborations : militant pour Amnesty International, Ecolo, Greenpeace, le WWF. Entre autres... Il s’exprime ici en son nom propre et en aucun cas au nom de ces différentes organisations. Il est également brasseur, fondateur de la brasserie HOPposition.