C’est le projet de trop. Pendant un demi-siècle, les promoteurs ont successivement transformé la majorité des espaces de nature de Wavre en zonings et lotissements. Avec le blanc-seing des dirigeants libéraux successifs, ils ont rasé, bétonné, bitumé. Il ne reste désormais plus qu’un espace de réelle biodiversité proche du centre, qui risque de disparaître si le projet "Rive verte" est accepté. Tout doit être fait pour empêcher cet ultime massacre et conserver, plus qu’une rive, un véritable lieu vert pour les Wavriens. Et privilégier les alternatives, comme repeupler le centre-ville.

Durant mon enfance, Wavre était majoritairement habitée par... des habitants. Ceux-ci logeaient en ville, vivaient en ville, achetaient en ville chez les commerçants de leur rue, de leur quartier. La politique libérale des années 70 aux années 2000 a gommé radicalement cette fonction de logement au profit d’une transformation complète visant le "tout pour le commerce" et, en parallèle, le développement de zonings en périphérie. Wavre allait prospérer, on allait voir ce qu’on allait voir.

On a vu.

La ville a d’abord été transformée en gigantesque centre commercial. En conséquence, les maisons particulières et les appartements ont été progressivement phagocytés par des boutiques et des espaces de stockage pour ceux-ci, forçant les habitants à s’installer ailleurs.

Dès 18 heures, les vitrines s’éteignaient et le centre devenait désert. Car le nombre de personnes qui y logeaient avait chuté drastiquement.

Ce que les brillants initiateurs de cette politique typiquement libérale n’avaient pas prévu, c’est que, après une période d’euphorie, les commerçants allaient déserter eux-aussi le centre, attirés par d’autres lieux plus rentables pour eux (Esplanade, zonings, voire carrément d’autres villes à proximité).
Ils n’avaient pas prévu non plus que les propriétaires ne rendraient pas ces immeubles à leur fonction originelle — le logement. Or, sans une densité suffisante d’habitants, une rentabilité est impossible pour un commerçant, surtout lorsque le loyer exigé est trop élevé, ce dont les survivants se plaignent. Peu acceptent de prendre ce risque.

Et le triste spectacle actuel des vitrines abandonnées le démontre cruellement.

Ce n’est plus seulement après 18h que le centre ressemble aux villages fantômes des albums de Lucky Luke.

Repeupler le centre-ville avant de bâtir

La priorité doit donc être de repeupler le centre-ville avant d’envisager de nouvelles constructions. Celles-ci auront, certes, l’avantage d’enrichir encore plus les promoteurs qui ont déjà suffisamment saccagé la région, mais le désavantage de terminer la mise à mort du centre.
La priorité doit être de contraindre les propriétaires des bâtiments vides [1] à revenir à leur objectif de départ. Soit loger des gens... qui redonneraient de la vie au centre-ville... et ramèneraient des commerçants pour répondre à leurs besoins.
La priorité doit être d’arrêter cette course au profit sans limite des promoteurs immobiliers. Car ils sont les seuls à y gagner dans cette urbanisation des espaces naturels. Nous sommes tous perdants. La nature en premier lieu. Mais les citoyens aussi, par la dégradation de leur cadre de vie, de celui qu’ils laisseront à leurs enfants.

Le risque est réel d’avoir des cités dortoirs — "Rive verte" viendrait après d’autres cités en périphérie dont la majorité des occupants font leurs achats ailleurs, ce qui sera également le cas ici puisque trois grandes surfaces sont à proximité — aux abords d’un cœur de ville qui a cessé de battre.

Nous n’en sommes déjà pas très loin.

Une artificialisation des sols délétère

Wavre a été gravement victime, comme d’autres, des inondations de 2021. On ne peut nier que la complaisance de ses dirigeants par rapport aux destructions massives de zones naturelles a été l’une des causes de ce drame. Dans le guide « Le Brabant wallon en chiffres », on peut lire qu’à Wavre, nous avions déjà perdu, entre 1986 et 2015, 33% de terres agricoles, 22% de prés et 14% de bois, nous plaçant parmi les mauvais élèves, en troisième place parmi les pires destructeurs de nature. Un carnage qui s’est poursuivi de 2015 à nos jours.

En artificialisant ainsi, durant un demi-siècle, des centaines d’hectares de zones naturelles, ce sont d’énormes zones "éponges" permettant d’absorber les eaux de pluie qui ont été détruites. Au grand bonheur des eaux de ruissellement qui peuvent ainsi s’accumuler et provoquer les inondations. Certes, Wavre n’est pas la seule responsable de cette situation, mais il est indéniable qu’elle a joué à l’apprentie sorcière en acceptant les multiples projets des promoteurs-bétonneurs.

La leçon ne semble toujours pas comprise. La majorité libérale soutient un projet qui va artificialiser une nouvelle zone de 17 ha dans le zoning nord... et également, avec "Rive verte", un espace qui a la caractéristique d’être situé juste à côté d’une zone inondable. Or, sa superficie importante de pure nature constitue une zone d’absorption des eaux. Sans elle, les inondations risquent d’avoir des effets encore plus dévastateurs.

Suite aux dérèglements climatiques, les catastrophes vont se multiplier et devenir de plus en plus… catastrophiques. Il nous faut tout faire pour en limiter les effets sur notre ville. Et réduire l’espace de nature qui est sous la menace de ce projet va au contraire les aggraver.
Aggraver le risque d’inondation.
Aggraver l’ampleur des inondations.

Ce n’est pas inconscient, c’est criminel.

Une aggravation de la pollution

La circulation sur la commune, en début de matinée et en fin d’après-midi, est un enfer. Les voies principales sont saturées. Particulièrement la zone "Chaussée de Louvain/Avenue des Princes/Chaussée de Bruxelles", particulièrement encombrée.

Avec les centaines de nouveaux logements, et donc de nouveaux véhicules dans cette zone qu’amènerait l’aboutissement de ce projet, la situation ne peut qu’empirer. Ces véhicules vont devoir tenter de s’infiltrer dans un trafic bloqué, augmentant ainsi l’embouteillage. Il suffit d’avoir tenté de sortir d’un des espaces commerciaux dans ces périodes de saturation pour se rendre compte qu’il y a un réel problème de densité du trafic. Certes, le promoteur annonce « promouvoir la mobilité douce », mais il serait naïf d’imaginer que la majorité des habitants potentiels de cette cité vont abandonner leur voiture. Des parkings pour les voitures en grand nombre sont d’ailleurs bel et bien prévus. L’argument de la mobilité douce est donc du green-wahing.

Ajoutons à cela que seulement deux voies d’accès sont prévues, ce qui va provoquer dans chacune d’elles un effet entonnoir qui concentrera les voitures et les dirigera tout droit vers les bouchons.

Liée à ce point de la mobilité, l’augmentation de la densité du trafic va de facto aggraver les nuisances environnementales, à la fois en termes de bruits et de dégagement de gaz à effets de serre. Rappelons à ce sujet que la Ville de Wavre s’est engagée à réduire son impact CO2.

Un tel projet va, au contraire, l’augmenter.

Mettons définitivement fin à un demi-siècle de bétonisation

La zone concernée par ce projet est le dernier espace sauvage proche du centre. Une faune et une flore s’y sont installées, amenant une indispensable biodiversité dans une ville qui, à force de bétonner, de bitumer, de paver, en a progressivement été privée.

C’est aussi l’ultime poumon vert à proximité du centre. On sait combien celui-ci est invivable lors des canicules à répétition. Les places transformées en parking sont de véritables fours. Or, les espaces naturels, principalement les arbres, sont un moyen de lutter contre les effets des canicules. Le béton, bien au contraire, les accentue.

Quand on voit le succès de "Wavre sur Herbe", on comprend le besoin pour les habitants de se poser dans un espace de nature, même artificielle. Cette opération sympathique et conviviale va dans le sens de ce que devrait être toute décision des gestionnaires d’une ville : la rendre plus agréable, plus viable, plus accueillante pour la totalité de ses habitants. "Rive verte" ne va pas dans ce sens. Bien au contraire. Il va dans le sens d’une gestion libérale : privilégier les sociétés privées, l’argent, pas la qualité de vie qui ne rapporte rien en termes financiers.

Un vrai parc pour les Wavriens

Rêvons un peu.

Il manque à Wavre un parc où chacun pourra se promener, se rencontrer, se reposer, où les enfants pourront jouer et être éduqués à la biodiversité, où l’on pourra respirer, se déstresser.

Les six hectares de nature qui sont menacés par ce projet pourront atteindre cet objectif si, rachetés par la Ville, ils sont mis sous protection et transformés avec précaution.

Il y a là une ultime opportunité de créer un écoparc accessible à tous qui pourrait maintenir une biodiversité tout en offrant aux Wavriens un lieu de vie tel qu’il en existe dans tant de villes et dont ils ont tant besoin.
Il y a là une ultime opportunité de laisser à nos enfants et petits-enfants autre chose qu’une ville faite d’artères, de places de parking et de petits bouts de verdure au milieu de la circulation (tels que ce qui est prévu place Henri Berger).

Si le projet "Rive verte" voit le jour, cela ne sera plus possible.
A jamais.


[1Bonne nouvelle ! Un cadastre des logements inoccupés est en cours d’établissement, ce qui permettra des mesures de rétorsion.

Par Patrick Pinchart

Patrick Pinchart a travaillé toute sa vie dans la communication. Animateur à la RTBF, rédacteur en chef de Spirou à deux reprises, éditeur de bande dessinée, agent pour auteurs (BD, littérature...), correcteur, éditorialiste polémiste, il a de multiples autres collaborations : militant pour Amnesty International, Ecolo, Greenpeace, le WWF. Entre autres... Il s’exprime ici en son nom propre et en aucun cas au nom de ces différentes organisations. Il est également brasseur, fondateur de la brasserie HOPposition.