Un projet de gigantesque tour-hôtel surplombant la petite Ville de Wavre a déjà été recalé une fois. Les promoteurs ont revu leur copie, mais c’est toujours un monstre qui est proposé. Les habitants en subiront toutes les nuisances sans y trouver des avantages. Une enquête publique a été lancée par la Ville, permettant aux habitants d’apporter leurs arguments "pour" ou "contre". Mais y a-t-il un seul argument possible pour une construction qui va à ce point dénaturer la ville ? Voici les arguments "contre" présentés à titre personnel.

Cette consultation publique [1] témoigne d’une évolution démocratique favorable de la Ville de Wavre. On ne peut qu’espérer que les arguments défendus par les citoyens seront entendus.

C’est bien évidemment une bonne chose que le chancre actuel soit remplacé par un bâtiment viabilisé. On peut comprendre que l’acquéreur du terrain veuille le rentabiliser ; il doit cependant proposer un projet qui ne se fasse pas au détriment d’une bonne partie de la population wavrienne. La solution envisagée est probablement la pire de toutes. Ce projet titanesque n’a absolument rien de rassurant pour les citoyens de Wavre. Voici pourquoi.


Ajout - Mai 2019.
Le projet de tour infernale à Wavre a été abandonné. On ne peut que remercier la Ville de Wavre d’avoir tenu compte de l’opposition de ses habitants et d’avoir empêché la construction d’un monstre qui aurait dénaturé la cité de manière durable et définitive.


1°) Impact sur le paysage
La tour devrait être haute de 94,62 m. L’implantation serait prévue sur une partie surélevée de la commune. Le centre de Wavre est situé 20 m plus bas. Cela signifie que c’est un monstre de près de 115 m qui dominera la petite ville.

Dans leur dossier, les promoteurs proposent des montages photographiques pour simuler l’impact paysager. Très astucieusement, ces photos sont prises avec un angle de vie qui sous-estime largement celui-ci. Ce sont des plans pris du sol vers le ciel. Ceci n’a rien à voir avec la réalité des choses pour les personnes qui se tiendront debout à ces emplacements, qui se trouveront à leur domicile, dans leur jardin, sur les hauteurs de la localité... et surtout, pour celles habitant dans un cercle de plusieurs centaines de mètres autour de la zone, pour qui cela sera comme un énorme bouton d’acné sur le visage : elles ne verront que cela.

En haut, l’une des photos montées par les promoteurs pour minimiser l’impact sur le voisinage de leur projet. En-dessous, un autre montage réalisé, lui, par un riverain et qui est bien plus réaliste.

2°) Impact sur le voisinage

Les promoteurs demandent une dérogation au plan de secteur. Des intérêts particuliers ne peuvent mettre en péril la destination principale de la zone, définie par le Législateur dans l’intérêt du bien-être et de l’harmonie dans une région et pour une population données. Tout projet doit être compatible avec le voisinage, sinon il n’y a aucune raison d’établir un plan de secteur.
En l’occurrence, les promoteurs veulent installer cette tour partiellement sur un emplacement qui est prévu pour de l’habitat et partiellement sur un emplacement prévu pour des activités mixtes, soit petite industrie ou artisanat. Notez le mot "petite".

Le législateur prévoit explicitement que des activités de service peuvent y être acceptées pour autant qu’elles "ne mettent pas en péril la destination principale de la zone et qu’elles soient compatibles avec le voisinage". Comment, honnêtement, argumenter qu’un hôtel de 204 chambres, 15 appart-hôtel, parking... soit compatible avec la destination principale de la zone et avec le voisinage de petites habitations tel qu’il existe depuis des décennies ?

3°) Impact sur l’ensoleillement des riverains, même éloignés

La tour serait gigantesque. Elle agirait comme la tige d’un cadran solaire en projetant une large ombre sur le reste de la commune. Si l’on suit le déplacement du soleil, cette ombre, à partir de midi, s’étendrait vers le haut de la ville et descendrait progressivement en direction du centre-ville. Au fur et à mesure que le soleil s’abaissera dans la journée, cette ombre sera plus importante. À partir de l’automne jusqu’au printemps, le soleil étant plus bas, elle sera encore plus considérable. Ce projet nuirait donc à la jouissance de l’ensoleillement — qui peut être une denrée rare en Belgique, même en période de sécheresse — et donc à la qualité de vie d’une partie des citoyens de Wavre, ceux qui auraient le malheur d’habiter sur le parcours de cette ombre.

Non seulement le projet crée une pollution visuelle verticale importante, mais en plus il bétonne une large partie du sol car il est construit sur une immense dalle.

4°) Impact sur la mobilité

Tous les Wavriens qui habitent Bierges et Limal et qui se rendent à Wavre par la route Provinciale connaissent le point noir que constitue le passage à niveau situé dans la zone de la sucrerie.

Pour tenter de minimiser celui-ci, les promoteurs du projet ont mesuré les fermetures de barrières pendant un laps de temps qui ne reflète pas la réalité du vécu des automobilistes. En effet, en heure de pointe (et il serait illusoire d’imaginer que la population "d’affaires" qui fréquentera le bâtiment s’y rendra en-dehors des heures de pointe), ce passage cumule une forte fréquentation des voitures vers le centre ET une fréquence plus importante de passage des trains vers Louvain et vers Ottignies.

Il suffit d’habiter la région pour savoir qu’on est régulièrement confronté à un passage à niveau fermé trop tôt, car un train est en démarrage à Wavre ou à Bierges, qui se relève partiellement avant de se refermer à nouveau, imposant à nouveau plusieurs minutes d’attente. En-dehors des heures de pointe (et les week-ends), ce phénomène se répète à cause des trains de marchandises, dont le démarrage à Ottignies est particulièrement lent, et qui provoquent le même phénomène pendant des temps d’attente encore plus longs.

Les files remontent souvent la route Provinciale, jusqu’au delà de la rue des Combattants, et jusque dans la partie redescendant vers Limal. Les véhicules venant de Bierges par la rue des Combattants sont bloqués eux-mêmes, dans l’incapacité de s’intercaler dans la file de voitures de la route Provinciale.

À ce jour, il n’y a aucune volonté d’Infrabel à régler ce problème qui pourrit la vie des habitants depuis des décennies et qui va s’aggraver si l’on y ajoute le trafic de l’hôtel.

Le dossier des promoteurs tente aussi de minimiser celui-ci en partant sur une hypothèse de co-voiturage pour les clients d’affaires. C’est méconnaître cette clientèle, qui bénéficie de voitures de société et qui — et on ne peut que le regretter — utilise prioritairement celles-ci et non le co-voiturage.
Aucune des solutions proposées par les promoteurs du projet — et ils l’ont admis lors de la réunion d’information pour la population — n’est satisfaisante.

Ces problèmes de mobilité, graves, seront amplifiés à certaines heures lorsque les travaux de la zone de la sucrerie seront terminés et que viendra s’y ajouter un autre trafic.

Sans compter, bien entendu, les nuisances complémentaires durant la période de travaux qui, vu l’ampleur du projet, s’étendraient sur une très longue période.

5°) Impact sur les réserves d’eau de la région

L’eau est un bien commun, dont le réchauffement climatique fait de plus en plus prendre conscience de la rareté. Cet hôtel poursuivrait les captages dans la nappe phréatique autorisés pour la vinaigrerie à une époque où ce problème n’existait pas encore.

Or, avec les périodes de sécheresse que nous connaissons de plus en plus, l’on peut s’attendre à une baisse des réserves, comme cela a été le cas dans d’autres régions cet été. La consommation d’eau d’un hôtel de cette ambition n’a rien d’anodin. Son impact, même s’il est minimisé par les promoteurs du projet, sera réel sur la nappe phréatique.

Toujours avec une volonté de minimiser celui-ci, ils utilisent l’argument de la récolte d’eau de pluie via une citerne pour les sanitaires. Dois-je vous rappeler qu’en 2018,après une année 2017 particulièrement sèche, il a manqué 200 jours de pluie, que nous avons connu une sécheresse dévastatrice, et que tous les scientifiques annoncent une aggravation du climat qui multipliera les épisodes de sécheresse ?

Allez-vous cautionner un projet qui, à nouveau pour un intérêt privé, va pendant des décennies puiser dans les réserves communes d’un élément vital, à la fois de notre génération, mais aussi des générations futures ?

Si l’on ajoute à cela la pollution des eaux par les matières fécales et les rejets divers, comme la cuisine, c’est a minima (car basé sur les estimations toujours aussi minimalistes des initiateurs du projet) 13.000 m3 d’eaux souillées par an qui seront rejetées dans les égouts et que nous devrons dépolluer.

6°) Impact énergétique

Un projet de tour de verre, s’il fait plaisir aux architectes et leur permet de créer des bâtiments qu’ils considèrent comme beaux — je leur laisse la responsabilité de la qualification esthétique de leur projet que, personnellement, je considère comme hideux —, est une aberration au niveau énergétique.

J’ai travaillé durant de nombreuses années dans une société qui a commis l’erreur de faire bâtir son nouvel immeuble de bureaux en verre, exactement comme le projettent les promoteurs de cette tour. Les conséquences au niveau consommation d’énergie y furent désastreuses. Malgré le système de refroidissement d’air, il y faisait trop chaud en été et, a contrario, malgré le système de chauffage, trop froid en hiver, car les pertes d’énergie sont considérables.

Ce bâtiment, totalement banal dans sa conception, n’apporterait aucune innovation audacieuse qui permettrait d’éviter une surconsommation d’énergie dont l’addition, sur le long terme, et alors que nous vivons chaque hiver sous la menace d’un black-out, serait considérable en termes de coût pour l’environnement.
Ne recommençons pas les erreurs du passé.

7°) Impact sur la faune

Il a été démontré que les baies vitrées constituent un piège pour les oiseaux, à tel point que la Ligue de Protection des oiseaux suggère de coller des autocollants de silhouettes de rapaces sur celles-ci pour qu’ils ne viennent pas s’y fracasser. Imaginez alors l’immense piège à oiseaux que cette tour de verre constituerait.

Nous vivons une période tragique de disparition massive des espèces animales, dont les oiseaux. Sachant que la Commune de Wavre a décidé de se consacrer plus à la protection de l’environnement, ce que nous ne pouvons qu’approuver, allez-vous accepter que, pour le profit de particuliers, on aggrave encore le risque de mortalité pour les oiseaux ?

8°) Impact économique pour la ville de Wavre

Y a-t-il un besoin en chambres d’hôtel dans la région ? Il y a déjà, à Wavre et à Louvain-la-Neuve, plusieurs hôtels dont un vient d’être rénové. Y a-t-il eu une enquête pour déterminer si ces hôtels font le plein ? Ce qui ne semble pas être le cas. Dans tous les cas, un nouvel hôtel, situé au bord de l’autoroute, risque de les mettre en danger. Avons-nous besoin de nouvelles fermetures à Wavre alors que tant de commerces, déjà, sont vides ?

D’un autre côté, ne nous leurrons pas. Il ne faudrait pas espérer des retombées importantes pour les commerces de Wavre.

Soit l’hôtel amènerait un public d’hommes d’affaires, qui seront satisfaits des services de restauration et de bar de l’hôtel et n’auront aucune raison de se déplacer au centre de Wavre pour y consommer quoi que ce soit.

Soit l’hôtel amènerait, et ce serait peut-être le cas les week-ends, des touristes "walibiens" et ces derniers seraient plus intéressés par les attractions du parc que par les commerces de Wavre.

En ce qui concerne les retombées sur l’emploi, il ne faut pas être angélique. Il suffit de voir le nombre de voitures matin et soir entre l’autoroute E411 et le zoning Nord pour comprendre que l’emploi créé par les entreprises qui y ont été construites profitent majoritairement à des personnes venant de l’extérieur. Même s’il y avait un engagement du propriétaire à privilégier les Wavriens, il ne serait que provisoire et il ne tiendrait pas en cas de rachat — ce qui, dans ce domaine, est tout à fait probable.

Pourquoi imposeriez-vous à la fois des nuisances et une augmentation des risques aux commerçants et à l’HORECA de Wavre avec un potentiel aussi aléatoire et aussi limité de retombées positives ?

9°) Impact sur la sécurité

Il faut pouvoir prévoir le pire. Il y a eu, dans des métropoles, plusieurs drames de tours incendiées, provoquant de nombreuses victimes.

Les voitures-échelles des pompiers de la Ville de Wavre peuvent atteindre une hauteur maximale de 32 mètres. À peine le tiers du bâtiment. Si les promoteurs prévoient des systèmes intérieurs de lutte contre l’incendie, on ne peut exclure des dysfonctionnements techniques. Dans ce cas, les pompiers seraient dans la totale impossibilité de sauver les occupants situés dans les deux-tiers supérieurs de l’hôtel. C’est donc un potentiel de véritable Tour infernale que constitue ce projet pour la région.

Si l’on résume les points évoqués :
  Impact sur le paysage : nuisible
  Impact sur le voisinage : nuisible
  Impact sur la qualité de vie : nuisible
  Impact sur la mobilité : nuisible
  Impact sur l’eau : nuisible
  Impact sur l’énergie (et le coût de sa production pour l’environnement) : nuisible
  Impact sur la faune : nuisible
  Impact sur les commerces de la Ville : dérisoire
  Impact sur la sécurité : potentiellement dangereux

En conclusion, modifier le plan de secteur et autoriser la construction d’un immeuble tellement contraire à tout ce qui fait l’art de vivre à Wavre va créer un dangereux précédent. Cela va être la porte ouverte à d’autres bâtiments du même genre, dans les décennies futures.

Il se dit que ce projet a été poussé pour des raisons de prestige dans la Région. Certes, d’autres régions ou villes ont des symboles de prestige que l’on vient visiter de partout : l’Atomium, la Tour Eiffel, la Tour de Pise,...

Sincèrement, pensez-vous vraiment que cette tour quelconque, bloc de verre comme on en construit malheureusement tant dans des grandes villes en détruisant pour cela des quartiers entiers, ait quoi que ce soit de prestigieux ? Apporte une quelconque plus-value à Wavre ? Et mérite d’imposer tant de nuisances aux habitants et aux commerces pour aussi peu d’avantages ?


[1Le dossier peut être téléchargé ici : http://www.wavre.be/documents/18-08%20pu2%20DOTHEY.zip

Par Patrick Pinchart

Patrick Pinchart a travaillé toute sa vie dans la communication. Animateur à la RTBF, rédacteur en chef de Spirou à deux reprises, éditeur de bande dessinée, agent pour auteurs (BD, littérature...), correcteur, éditorialiste polémiste, il a de multiples autres collaborations : militant pour Amnesty International, Ecolo, Greenpeace, le WWF. Entre autres... Il s’exprime ici en son nom propre et en aucun cas au nom de ces différentes organisations. Il est également brasseur, fondateur de la brasserie HOPposition.