Cela commence par l’amitié. Après un ou plusieurs séjours dans un pays étranger, vous vous liez d’amitié avec l’une des personnes qui vous ont aidé et accompagné. Vous décidez de l’inviter afin de lui faire découvrir votre région. Juste échange de cultures. Cela a été tellement simple pour vous de vous rendre dans son pays, cela devrait être tout aussi aisé pour lui de venir chez vous. Non ? Ben non, car en Belgique, il y a quelque chose d’ubuesque qu’on nomme "Office des étrangers" et qui va vous mettre tous les bâtons possibles dans les roues afin de vous décourager.

Deux voyages dans l’Himalaya avec quelqu’un qui vous aide et vous seconde, cela fonde une amitié durable.

Lui est Indien. C’est un modeste facteur, qui livre le courrier avec une bicyclette rescapée de la guerre, qu’il a réparée de ses mains. Il est tout fier de pouvoir partager avec vous les notions d’anglais qu’il a apprises au fil des discussions avec les membres de groupes comme celui dont vous faites partie, et en regardant les émissions étrangères à la télévision. Il est l’accompagnateur attitré, pour ses qualités et da disponibilité, d’un organisateur de voyages en Inde, un médecin, Indien lui aussi mais installé en Belgique, qui veut ainsi faire découvrir son pays natal et, en même temps, soutenir des associations caritatives. Car une partie des frais du voyage sert à aider des personnes qui aident des enfants.

Vous, vous êtes un Belge de ce qu’il y a de plus normal, installé en Belgique depuis une vie, avec un travail fixe et un domicile qui l’est tout autant. Vous êtes même connu dans votre domaine, ce qui donne toutes les garanties à l’Etat, lorsque vous décidez d’inviter votre ami, qu’il sera donc accuilli par quelqu’un de confiance. Car vous avez décidé d’inviter votre ami. Pour être honnête, vous n’êtes pas le premier. Quelques années plus tôt, un autre groupe avait fait de même et lui avait fait découvrir les joies du moule et frites, de la mer du Nord et des Fagnes. Tout s’était bien passé. Tout devrait donc bien se passer cette fois aussi.

Pour vous rendre en Inde, c’est facile. Vous disposez de votre passeport comme pour tout autre pays, vous demandez sur internet un visa électronique, et c’est terminé. Pour qu’un Indien puisse venir en Belgique, c’est un petit peu plus compliqué. Vous devez vous rendre à la maison communale et remplir des documents prouvant que vous avez assez d’argent pour l’accueillir, et même garantir qu’en cas de soucis, vous prendrez en charge tous ses frais. Vous envoyez le tout à la personne invitée, qui l’envoie à l’ambassade belge, elle reçoit son visa et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Sauf que...

Sauf que la personne en question reçoit une lettre de l’ambassade lui refusant son visa. Accompagnée d’une argumentation... en néerlandais. Venue de l’Office des étrangers. Pourquoi une simple demande de visa touristique transite-t-il par un département dirigé par un membre influent d’un parti nationaliste, la NVA, dont on ne peut pas dire qu’elle soit particulièrement favorable aux étrangers ? Sans doute une expression du surréalisme belge, comme on dit en général dans ce genre de situation abracadabrante.

Comme l’est le choix de la langue pour argumenter le refus. Comment dire sans vexer, euh... Voilà. Il existe une langue internationale, qui est l’anglais. En Inde, on parle anglais. Il est sans doute difficile, lorsqu’on appartient à un département dirigé par un nationaliste flamand, d’admettre que la langue dont on est si fier — à juste titre — est totalement inconnue du reste du monde, au mieux considérée comme un dialecte, et en tout cas incompréhensible pour 99,9999 % de la population mondiale, et particulièrement en Inde. Envoyer une argumentation dans cette langue inconnue du reste du monde, on a un mot pour cela : arrogance.

Heureusement, il existe Google Translate qui permet, faute d’obtenir une traduction dans l’anglais de Cambridge, d’avoir une idée du contenu. On y apprend que la simple raison du refus est... qu’une "attachée" a des doutes, comme on peut le comprendre grossièrement dans la traduction approximative en ligne :

"Le but et les conditions du séjour envisagé n’a pas été suffisamment démontrée
 personne souhaite se rendre ici pour visiter des amis. Cependant, cette relation est insuffisamment étayée / a démontré
 demande entrées multiples ne se justifie pas
 personne a voyagé en Italie avec un visa précédent et ne peut fournir une preuve de résidence en Belgique.
La destination est pas suffisamment démontrée : des doutes quant à la véritable destination et la principale destination réelle."

Résumons : un Belge invite un ami indien — ayant domicile fixe et un emploi à durée indéterminée en Inde et qui n’est donc pas susceptible de demander l’asile et venir ainsi manger le pain des bons Belges — à venir deux semaines en Belgique, et sa demande de visa est refusée, son voyage annulé et son billet d’avion à la poubelle parce que... une fonctionnaire a des doutes et ne fait absolument rien pour les lever. Il y a un nom pour cela : l’arbitraire.

Car la moindre des choses aurait été de s’informer auprès de l’invitant pour étayer la relation, et auprès de l’intéressé quant aux autres points "douteux" (sic). Qui, contrairement à ce qu’elle suppose, n’avait pas voyagé en Italie précédemment, mais utilisé Alitalia pour venir en Belgique et avait simplement transité par un aéroport italien ; et avait simplement coché une case "entrées multiples" dans sa demande de visa sans vraiment comprendre ce que cela voulait dire puisque la connaissance de cette personne dans la langue de Shakespeare n’est pas encore parfaite. Comment appelle-t-on le fait de se contenter d’une rapide impression pour prendre une décision ? De la désinvolture.

Que faire ?

Et c’est là que le Belge moyen, même très motivé se trouve démuni face à la muraille glaciale de l’administration. Des lettres à Didier Reynders et même à Jan Jambon et Théo Francken, supposés servir la population, ne donnent même pas une réponse polie. Le silence méprisant est assourdissant. Seul le cabinet de Charles Michel tente un contact,... mais trop tard, l’avion est parti sans son passager. Le consul en Inde renvoie la patate chaude à l’ambassade qui renvoie... à l’Office des étrangers. Le Médiateur fédéral tente de calmer le jeu mais est tout aussi impuissant — car, dit-il, l’octroi d’un visa "n’est pas un droit mais une faveur"... — et finit par conseiller de prendre un avocat !

Il reste une option, suggérée dans la lettre de refus : introduire une réclamation auprès du Conseil des Contentieux des Etrangers. Ce qui est fait par lettre recommandée, en produisant tous les documents de la demande pour prouver la bonne foi.

Quelques jours plus tard, arrive une réponse : ah ben non, il vous faut, pour que votre réclamation soit valable, envoyer votre demande en cinq exemplaires avec un inventaire des pièces jointes ! Ce qui n’était bien évidemment pas mentionné dans la notice mentionnant la procédure. Tout est minutieusement fait pour décourager le citoyen de faire valoir ses droits.

Cinq copies plus tard et un nouvel envoi en recommandé. Cette fois, la réponse arrive... en néerlandais alors que la plainte a été effectuée en français (autre signe de mépris). A nouveau, Google translate est d’une aide appréciable et révèle... qu’il faut payer 372 euros pour que la demande soit prise en compte. Ce qui a un nom : racket. Une demande bien entendu inacceptable.

On devine, dans l’exemple ci-dessus, le calvaire des personnes qui, en réel danger et non pour raisons touristiques, doivent s’adresser à ce territoire de Père Ubu qu’est l’Office des Etrangers et qui se retrouvent devant le même mur infranchissable d’arbitraire, avec des arguments absurdes évoqués dans un langage incompréhensible pour eux.

Après plusieurs semaines de procédure et de vexations multiples, ce dernier a donc gagné à l’usure : un étranger de plus ne foulera pas le sol belge, tant pis pour ses amis qui l’attendaient en Belgique et souhaitaient lui faire voir le Zwin, Pairi Daiza, lui refaire redécouvrir la frite et la bière belges avant de le raccompagner à l’aéroport pour qu’il retourne chez lui, et qui en sont pour leurs frais. Un billet d’avion a été perdu pour quelqu’un pour lequel cela représentait plusieurs mois de salaire. Tout simplement parce qu’une "attachée" adoubée par Théo Francken, Jan Jambon, Didier Reynders — qui, à aucun moment, ne sont intervenus malgré les demandes —, fonctionnaire à l’Office des étrangers, a eu... des doutes. Arrogance, arbitraire, mépris et désinvolture, il y a un mot qui résume tout cela : "incompétence".

Photo : Allégorie - singe sur un pont en Inde tournant son regard vers la Belgique avec un air interrogatif. On comprend pourquoi.

Par Patrick Pinchart

Patrick Pinchart a travaillé toute sa vie dans la communication. Animateur à la RTBF, rédacteur en chef de Spirou à deux reprises, éditeur de bande dessinée, agent pour auteurs (BD, littérature...), correcteur, éditorialiste polémiste, il a de multiples autres collaborations : militant pour Amnesty International, Ecolo, Greenpeace, le WWF. Entre autres... Il s’exprime ici en son nom propre et en aucun cas au nom de ces différentes organisations. Il est également brasseur, fondateur de la brasserie HOPposition.