Le 18 janvier 2010, je faisais une chute d’escalade de 18 mètres qui faillit me tuer et qui me maintint près d’un an, le corps cassé, en centre de revalidation. Quelques jours après les diverses opérations qui me sauvèrent la vie, je fus enfin capable de reprendre mon ordinateur et d’envoyer un message pour rassurer mes proches, mes connaissances et les personnes avec qui je travaillais. Ce texte, je l’ai intitulé "Je vous écris de la Planète Vie". Car cette chute m’avait amené quelques instants sur la Planète Mort. Quelques instant seulement, mais assez pour me guérir, à jamais, de la peur de mourir. Car j’étais mort quelques instants. Et j’étais revenu, changé.

Un infirmier m’a dit : “Vous, ça ne sert plus à rien de jouer au Loto, vous avez utilisé toute votre réserve de chance jusqu’à la fin de votre vie !”. Il n’en revient toujours pas : ce lundi 18 janvier, j’ai fait une chute de 18 mètres, je me suis fracassé sur le sol, je me suis explosé le fémur, j’ai fait un arrêt cardiaque, je me suis cassé quatre côtes, déchiré l’aorte (une vicieuse petite déchirure provoquée par la chute qui, heureusement, n’a pas échappé à la perspicacité du service des urgences) et je suis toujours vivant.

J’ai donc eu cette expérience unique de passer de vie à trépas puis de trépas à vie. Un expérience très intéressante qui mérite d’être vécue, même si je ne vous conseille pas d’essayer.

Avis aux amis scénaristes, il est temps de mettre fin à un cliché : non, pendant la chute, on ne revoit pas défiler toute sa vie. Pendant la chute, on se voit tomber, point. Comme dans un film au ralenti, micro-seconde par micro-seconde.
Par contre, lors de l’arrêt cardiaque, je me suis mis à voyager dans un monde plein de couleurs, de voix étranges, d’images ……Puis je suis revenu à la douloureuse réalité lorsque, grâce au vigoureux massage cardiaque de François (facilité par mes côtes brisées), grimpeur-médecin providentiel, mon cœur s’est remis à battre.

Dame Nature, grâce à sa petite baguette magique, m’offre donc une renaissance et une seconde vie. Pratiquement, c’est rigolo, ça commence effectivement comme la première : on fait tout pour moi à l’hôpital, on me met tout nu, on me lave, on me poudre les fesses, on me rhabille, on me nourrit, on surveille si j’ai bien fait pipi ou autre, etc. Je retrouve heureusement un peu plus d’autonomie chaque jour (mais interdiction de marcher pendant six à huit semaines, donc vive le wi-fi !).

Et puis, au moins, pour cette deuxième vie, je ne vais plus devoir passer par les inutiles étapes des premières dents, de la varicelle, de l’adolescence boutonneuse, de l’appareil dentaire, des amours platoniques, des cours chiants, du “qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire dans la vie”, etc.

Celle-ci commence sur les acquis de la première, et alors là, je vais me régaler.
Car après tout cela, on a soudain une conscience plus affûtée des priorités.
J’ai une famille et des amis formidables à qui je compte bien donner du temps pour me faire pardonner de cette terrible épreuve que je leur ai imposée.
Et puis, c’est l’occasion de faire le grand nettoyage de pré-printemps et de se débarrasser de ce tourbillon de bouffe-temps inutiles dont on s’encombre l’existence. Une seconde vie, ça ne sa gaspille pas. Une première non plus, d’ailleurs, mais ça, on n’en est pas forcément conscient avant ce type de signal d’alarme.

Voilà donc l’état de la situation. En résumé, les morceaux se recolleront lentement, mais le moral est excellent et le sens de l’humour au beau fixe comme d’habitude. Comme ce miracle ne s’est pas opéré tout seul, je voudrais remercier certaines personnes (qui se partageront les royalties du film “Envol vers le Sol” que m’a déjà promis de réaliser mon ami Spielberg).

Merci aux responsables de la salle “New Rock” à Bruxelles d’avoir eu l’intelligence d’investir dans un tapis de protection très épais pour le sol. (SOSPRO 57cm).
Merci a François - grimpeur-médecin - qui m’a donné les premiers soins et m’a ramené à la vie .
Merci à mon fils Amaury de m’avoir courageusement soutenu dans les premiers moments catastrophiques.
Merci aux découvreurs de la morphine.
Merci aux pompiers de la station Delta, à l’entrée de Bruxelles, de s’être occupés de moi en attendant l’arrivée de l’ambulance.
Merci à l’équipe des urgences de l’Institut Saint-Luc pour son incroyable efficacité et pour la rigueur qui lui a permis de découvrir la bombe à retardement qui s’était cachée dans mon aorte en train de se déchirer.
Merci à toutes les autres équipes de l’Institut Saint-Luc pour leur disponibilité, leur gentillesse et leur humour.
Merci à ma famille pour son courage et son amour.
Merci à mes amis, à tous ceux qui m’ont témoigné de l’affection.
Merci à la vie de bien vouloir de moi une seconde fois.

Et à très, très, très bientôt.

Epilogue.

Fin 2010, je sors de la clinique du Bois de la Pierre. J’ai une minerve qui soutient ma nuque, durement éprouvée par la chute. Je marche avec une béquille. Quelques mois auparavant, on m’avait proposé un voyage avec randonnées dans l’Himalaya, à Pâques 2011. J’avais posé la question au médecin : "Vous pensez que je serai guéri ? Je peux y aller ?". Il m’avait répondu que oui, car avec la kiné, j’aurais récupéré toutes mes facultés.
A Pâques 2011, j’étais toujours en béquille, minerve à la nuque, les morceaux d’os de mon fémur cassé rassemblés autour d’une tige métallique en plein milieu de l’os (désormais, je fais "bib bip" aux portiques de sécurité des aéroports) ne recalcifiaient pas. La kiné ne donnait rien.

Je pris néanmoins le risque de partir, l’organisateur du voyage étant médecin.

Je fis bien.

A 3000 mètres d’altitude, l’obligation de marcher dans l’Himalaya avec des dénivelés importants fit se rendre compte à mon cerveau que les morceaux d’os autour de la tige qui faisait guise de fémur étaient finalement utiles, et il envoya l’ordre de recalcifier.
Le dernier jour du voyage, juste avant de partir, j’offrais ma béquille à un Indien qui en avait plus besoin que moi.
Quelques jours plus tard, le radiologue confirmait que le fémur était en train de se reconstituer. Il ne comprenait pas les raisons de ce miracle.
Moi, je savais.
La magie de la montagne avait agi !

Par Patrick Pinchart

Patrick Pinchart a travaillé toute sa vie dans la communication. Animateur à la RTBF, rédacteur en chef de Spirou à deux reprises, éditeur de bande dessinée, agent pour auteurs (BD, littérature...), correcteur, éditorialiste polémiste, il a de multiples autres collaborations : militant pour Amnesty International, Ecolo, Greenpeace, le WWF. Entre autres... Il s’exprime ici en son nom propre et en aucun cas au nom de ces différentes organisations. Il est également brasseur, fondateur de la brasserie HOPposition.