Au Japon, on l’appelle "Sakura" Chaque printemps, le cerisier offre un spectacle magnifique mais tellement éphémère, admiré depuis des siècles dans le monde entier. On le considère, non seulement, comme un symbole de beauté, mais aussi de vie, de renouveau. C’est un tel émerveillement que des gens parcourent des milliers de kilomètres pour assister au spectacle de la floraison des cerisiers du Japon. A Wavre, on les abat.

De 1970 jusqu’en 2020, nous avions un peu nos sakuras à nous, à Bierges. Toute la rue René Jurdant était bordée de ces arbres dont la floraison somptueuse avait embelli, lorsque j’y habitais, tous les débuts de printemps de mes jeunes années. Devenu adulte, mais habitant à proximité, j’y venais par le Vieux Chemin du Poète pour profiter de cette incroyable beauté.

Ce spectacle royal, désormais, les habitants de la région devront s’en passer. Ces arbres vigoureux, en pleine santé, ont été rasés en 2020. Du jour au lendemain. Sans même demander l’avis de ceux qui étaient en premier plan pour les admirer : les habitants du quartier.

Pour ceux-ci, le choc a été terrible.

Un demi-siècle de patrimoine naturel et paysager passé à la tronçonneuse.

D. S. est l’un d’entre eux. Furieux, il s’exprimait à l’époque sur les réseaux sociaux : "Remplacés par du béton et des parkings qui emmerdent tous les riverains ! Cinquante-deux cerisiers abattus au total ! Sans même étude/réunion de quartier ! Et les cinq grands arbres abattus devant la provinciale ont été enlevés juste pour placer les containers de la société. C’est honteux !"

À Wavre, on rase gratis

Après la tristesse, après la colère, vient l’incompréhension. Il y a, à Wavre, deux poids, deux mesures. Paraphrasons La Fontaine "selon que vous soyez puissant ou misérable...". En tant que misérable, il vous faudra demander aux puissants une autorisation pour abattre un arbre (NB :comme cela a été rappelé dans un "Bonjour Wavre"). Pourquoi l’inverse n’est-il pas vrai ? Comment, dans le cas d’une telle atteinte à l’environnement, au paysage, au patrimoine urbain, ces puissants peuvent-ils mépriser les misérables en rasant impunément ce qui fait l’un des plus importants facteurs de la qualité de vie de leur quartier ? Et comment aussi mépriser leur droit à la nature et au bien-être que celle-ci leur apporte en transformant en tristes copeaux, d’une insouciante signature au bas d’une autorisation de travaux, ces arbres qui les ressourçaient depuis un demi-siècle ?

Les explications officielles

Paul Brasseur, l’échevin qui s’est retrouvé en première ligne lors des réactions véhémentes au massacre [1], expliquait, suite à la colère exprimée sur Facebook (je paraphrase, vous affinerez en relisant les messages publiés sur le réseau) :
 (1) que ce chantier étant subsidié par la Région wallonne, la Ville n’ayant pratiquement pas de marge de manœuvre sous peine de perdre les 945000 euros de subsides prévus pour le chantier ;
 (2) que, de toute façon, ces cerisiers étaient en fin de vie ;
 (3) que leur présence aurait empêché la création des trottoirs ainsi que la création de zones de stationnement, pourtant bien nécessaires car "tout le monde ne roule pas à vélo" (sic) ;
 (4) que cela avait été décidé lorsqu’il n’était pas encore échevin.

Quelques réflexions en guide de réponse...

(1) Je pense donc je ne suis pas.

On devine qu’il ne doit pas être aisé de naviguer dans la rigidité de l’administration. Mais si, comme écrivait Paul Brasseur, il n’y a pratiquement pas de marge de manœuvre, il y a donc une marge, même minime. Combattre pour une cause qui le mérite nécessite énergie, courage et volonté. On appelle cela l’éthique personnelle. Nous n’en sommes plus aux temps dictatoriaux du potentat local, quand l’on devait courber la tête sous peine de se la faire couper, ni de son successeur aux dents longues, champion d’Europe de saut sur sofa [2].

On peut, je l’espère, désormais discuter, argumenter, faire changer ce qui semblait gravé dans le marbre des textes administratifs lorsque la cause en vaut la peine.

Ce comportement de soumission sans condition est assez significatif. Il témoigne d’un état d’esprit de certains édiles. Ce qui est loin d’être rassurant, car il nous faut des garde-fous et s’il n’y a pas de résistance interne aux mauvaises idées, tout est possible. À une époque où l’on commence enfin à prendre conscience de l’importance du respect de la nature dans la lutte contre les changements climatiques, et particulièrement de l’apport vital des arbres à notre équilibre et à celui de la planète, à Wavre, on les abat. On laisse Matexi saccager chaque année de plus en plus de nature, bétonner de plus en plus de zones vertes. On peut deviner que, si l’on continue ainsi, au lieu de cette nature, qui nous permet aujourd’hui de nous ressourcer, nos enfants et nos petits-enfants devront se contenter du spectacle du bitume et du béton de nouveaux lotissements... et de nouveaux parkings.

(2) Une espérance de vie de 50 à 100 ans, voire plus.

Ces arbres n’étaient pas du tout en fin de vie mais paraissaient, bien au contraire, en parfaite santé. A-t-on des rapports qui justifient leur destruction pour cause, par exemple, de parasites impossibles à éliminer, de maladies incurables ? On peut lire sur une page spécialisée : "Estimée entre 50 ans et 100 ans, bon nombre de poètes et autres écrivains ont comparé la longévité des cerisiers à celle de l’être humain. Pourtant, bien loin de cette estimation, il est possible de trouver des cerisiers qui ont plusieurs centaines d’années."

Ces arbres en étaient donc au minimum de leur fenêtre de longévité. Ils ont été abattus inutilement [3]

Affirmer le contraire est, sauf preuve du contraire, du pur mensonge.

(3) Les voitures, sinon rien.

Raser des arbres pour les remplacer par des places de parking dans une voie où il y a largement l’espace pour se parquer, où il n’y a JAMAIS eu de pénurie de places, c’est une hérésie. Et privilégier une fois de plus la voiture au détriment de la nature, c’est exactement le contraire de ce que les générations futures exigent - à raison - en manifestant par milliers dans les rues (dont celles de Wavre). C’est elles qui subiront les conséquences des décisions actuelles.

Quant à la remarque de Paul Brasseur à l’égard des utilisateurs de vélos, on ne peut que s’en étonner lorsqu’on lit son auto-portrait sur le site de la ville de Wavre : "Je rêve d’un Wavre (...) plus accessible aux cyclistes, où l’on réfléchirait à deux fois avant d’utiliser sa voiture". Disons-le nettement : Wavre a plus besoin de pistes cyclables que de parkings et, singulièrement, ce quartier n’avait absolument pas besoin de places de parking supplémentaires... mais bien d’espaces de jeux pour ses enfants.

(4) Je m’en lave les mains

Euh, poliment, admettons que ce n’est pas l’argument le plus glorieux invoqué par l’échevin. La bonne vieille technique du parapluie, aussi appelée "c’est pas moi, c’est les précédents" ou "Je n’ai fait qu’obéir aux ordres", semble toujours d’actualité quand on n’a pas envie de prendre ses responsabilités. Certes, il héritait d’un chantier qui avait été décidé lorsqu’il n’était pas encore échevin des travaux. Mais il était alors, à l’époque, conseiller communal dans la liste de la majorité. Il pouvait, à ce titre, faire entendre sa voix pour que ces arbres soient épargnés. Devenu échevin, qu’a-t-il fait pour tenter de les sauver ?

Pourquoi tant de bruit autour de quelques arbres ?

D’abord, parce que les arbres ont une importance vitale pour nous, pour la faune, pour la biodiversité, pour ceux qui nous suivront sur cette micro-micro-planète qu’est Wavre.

Ensuite, parce que c’est un acte symbolique : on rase sans tenir compte des riverains, sans tenir compte de ce cadeau exceptionnel que leur faisait la nature à chaque début de printemps. On appelle cela le mépris.

Enfin, parce que cela signifie que, malgré les promesses, les slogans, les paroles en l’air, on continue à privilégier le béton à l’espace vert. Et que c’est plutôt inquiétant, car cela signifie qu’on dirige sans écouter, loin de la réalité et des besoins de ceux pour qui on prend des décisions.

L’abattage de ces arbres n’est pas un acte anodin. C’est un désastre irrémédiable, irréparable, inexcusable. Il est le signe, soit d’une incompétence dans la gestion du patrimoine naturel et paysager, soit d’un dédain pour la nature et pour ses indéniables liens avec les humains. Soit des deux.

Et ceux qui apprécient les restes de paysages qui ont été préservés dans Wavre et dans les environs ont de quoi s’inquiéter.

Il est temps que l’on change de logiciel — formule à la mode mais tellement adaptée à la situation présente. Que l’on fasse intervenir les citoyens dans les décisions qui les concernent, plutôt que les leur imposer sans concertation. Que l’on réponde à leurs désirs plutôt que de désirer pour eux. Car, s’il est évident qu’il n’est pas aisé de gérer une ville, même de taille moyenne comme Wavre, il y a toujours le risque de se trouver dans une bulle éloignée des réalités lorsqu’on doit prendre des décisions. Et c’est exactement le cas dans ce qui s’est passé ici : personne, PERSONNE ne souhaitait la disparition de ce décor printanier de rêve. Mais des ouvriers, sans état d’âme, on fait ce que l’administration leur demandait : faire rugir les tronçonneuses et tuer, tuer, tuer des arbres qui faisaient le bonheur d’un quartier.


Epilogue

Printemps 2021. Le temps est froid mais ensoleillé. Je me promène à Basse-Wavre sur la petite place qui a été intelligemment rénovée. Autour des zones de parking, on y a laissé la place à la nature. Les jardiniers communaux ont joliment travaillé. La pelouse est ponctuée de petits points blancs, de minuscules pâquerettes. Le jaune d’un pissenlit rajoute une touche de couleur. On a planté des tulipes aux coloris variés. Et le roi de ce parking qui laisse sa place à la nature est un somptueux cerisier. Il est d’une époustouflante beauté. Après m’être laissé émouvoir par le spectacle, je pense à la rue de mon enfance et à ses cerisiers en fleurs. Puis à ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Une succession de places de parking.

Dernier espoir pour réparer ce désastre : que l’essence choisie pour remplacer les cerisiers du Japon soit d’une qualité équivalente pour le paysage et, également, soit bénéfique à la biodiversité. Espérons que cela AU MOINS ait été pris en compte avant que vrombissent les tronçonneuses [4].

Après la nostalgie, vient la tristesse. Après la tristesse, revient la colère. Et elle n’est pas près de s’atténuer.


[1Dont les miennes, qu’il a tenté de balayer régulièrement par "Vous n’habitez pas dans cette rue", comme si seuls les riverains actuels avaient le droit d’être touchés par ce désastre.

[2Dont la mégalomanie a failli défigurer la Ville avec une tour infernale de 70 m de haut et l’a endettée pour plusieurs générations avec une salle de spectacle surdimensionnée.

[3Ah non, si l’on lit bien Paul Brasseur, pas inutilement : pour faciliter le chantier. Un chantier qui, facilité par cet abattage gratuit, oblitère totalement l’espoir, pour nos enfants et nos petits-enfants, de profiter du bonheur du spectacle qui nous fut offert, à nous leurs aînés, durant un demi-siècle.

[4J’ai demandé à Paul Brasseur quelle était l’essence choisie pour remplacer les arbres abattus et les raisons de ce choix. J’attends la réponse

Par Patrick Pinchart

Patrick Pinchart a travaillé toute sa vie dans la communication. Animateur à la RTBF, rédacteur en chef de Spirou à deux reprises, éditeur de bande dessinée, agent pour auteurs (BD, littérature...), correcteur, éditorialiste polémiste, il a de multiples autres collaborations : militant pour Amnesty International, Ecolo, Greenpeace, le WWF. Entre autres... Il s’exprime ici en son nom propre et en aucun cas au nom de ces différentes organisations. Il est également brasseur, fondateur de la brasserie HOPposition.