Quand donc les avertissements des scientifiques par rapport aux poisons qui nous environnent seront-ils pris en compte ? Vous admirez sans doute, en vous promenant dans les jolis chemins de la campagne de Wavre, ces champs travaillés par les agriculteurs. Vous avez sans doute déjà été inquiets en les voyant pulvériser des pesticides. Mais d’autres produits toxiques sont aussi présents dès l’ensemencement. Et ils se diffusent dans les jardins environnants. Qu’est-ce qui est fait à Wavre pour empêcher cet empoisonnement de l’air et du sol ? Rien.

Le Ministre wallon de l’Agriculture David Clarinval déroge d’année en année à l’interdiction par la Commission européenne de certains pesticides toxiques pour les insectes, entre autres les insectes pollinisateurs. Et les agriculteurs les utilisent dans les champs à proximité de nos habitations. C’est choquant et cela montre à quel point sont ignorés les avertissements des scientifiques par rapport aux poisons dans notre environnement. Comble de l’absurde, ces pesticides extrêmement toxiques ne peuvent plus être utilisés depuis 2018 qu’en cas de crise mais, chaque année, le Ministre de l’Agriculture autorise ces poisons à titre préventif… alors qu’il n’y a pas de crise.

Or, à Wavre, de nombreux jardins jouxtent des champs qui sont susceptibles d’être empoisonnés par ces pesticides interdits — et par d’autres. Et, comme dans tout jardin familial, des enfants y jouent et peuvent y être exposés. Les propriétaires de ces jardins peuvent déjà constater la disparition de nombreux insectes.

Des produits qui protègent les betteraves mais assassinent la biodiversité

On parle ici de pesticides nommés nicotinoïdes et sulfoxaflor, utilisés principalement pour les betteraves. Les premiers sont interdits par la Commission européenne, ce qui sera certainement le cas du second cette année, car ils sont mortels pour nombre d’espèces animales, et dangereux pour les humains.

Tous deux sont des insecticides systémiques. Ils diffusent leur poison dans la plante. Qu’un insecte vienne simplement à boire les gouttes qu’elle excrète quotidiennement de manière naturelle (par guttation), et le produit attaque son système nerveux, le condamnant à mort.

Mais ces poisons ne tuent pas seulement les ravageurs de la plante comme les pucerons, ils tuent TOUS les insectes, y compris leurs prédateurs naturels. Ils sont majoritairement responsables de la disparition des abeilles, déjà fragilisées par le varroa et le frelon asiatique ou le champignon nosema, ce dernier agissant en synergie avec l’insecticide Fipronil, ce qui augmente encore plus son effet délétère sur les abeilles. Rappelons que le Fipronil a été la cause d’un immense scandale sanitaire en 2017 car il s’est retrouvé dans une énorme quantité d’œufs et de produits dérivés destinés à l’alimentation humaine.

Tous ces poisons sont également nocifs pour les oiseaux, les mammifères et les batraciens. À ce titre, "Nature et progrès" les qualifie de "serial killers" et leur utilisation de "désastre écologique".

Un danger mortel qui s’étend dans la nature environnante et dans nos jardins

Il a été démontré qu’une partie seulement du poison est aspirée par la plante. Le reste imprègne le sol et, dans le cas de pulvérisation, se disperse en plus dans l’air environnant. Il s’accumule dans le sol d’année en année, il est emporté dans les eaux de ruissellement et il contamine l’environnement, qui devient à son tour toxique. Au point que dans des régions agricoles du Royaume-Uni, les fleurs sauvages sont également contaminées et forment une source d’exposition importante à ces substances toxiques pour les abeilles domestiques et, bien entendu, les autres insectes [1].

Autre comble de l’absurde, ces poisons sont utilisés à titre préventif. Les néonicotinoïdes enrobent les semences. Et le sulfoxaflor est pulvérisé pour terminer le travail, au cas où tous les insectes n’auraient pas été euthanasiés. C’est un principe de précaution qui fonctionne à l’envers. Car l’IRBAB (Institut Royal Belge pour l’Amélioration de la Betterave), dont on ne peut la suspecter d’être anti-betteravier car il a été fondé par l’industrie sucrière et les producteurs de betteraves sucrières, a calculé que, lorsqu’on n’utilise pas ces pesticides, le pourcentage de la surface infectée par la jaunisse virale dépasse rarement 5%. La perte moyenne de rendement en tonne de sucre de ce champ s’élève alors à 1,2% [2]. On assassine la filière apicole pour gagner 1,2% de rendement de sucre !

Dangereux pour la nature, mais aussi pour la santé humaine

La menace de ces pesticides sur la santé humaine est largement démontrée. Il est d’ailleurs interdit de les utiliser à moins de 50 mètres des écoles, des crèches, des terrains de jeux pour enfants, des lieux où sont consommées de la nourriture et des boissons, et bien d’autres endroits, pendant les heures de fréquentation [3]. Jusqu’à preuve du contraire, un jardin constitue un lieu où, à toute heure, peuvent jouer des enfants, où sont consommées de la nourriture et des boissons... et où l’on cultive également des fruits et des légumes qui, assaisonnés par ces poisons, seront consommés par ces mêmes enfants, leurs parents et amis.

Vous habitez à proximité d’un champ ? Les pesticides injectés dans le sol de celui-ci contamineront inévitablement votre terrain. Et, dans le cas des pulvérisations, on a beau prendre des précautions, par exemple avec des buses anti-dérive, on ne fait que réduire de 50% la dérive des gouttelettes de poison. Il a été démontré que, 48h après, il s’en trouvait encore dans l’air environnant voire dans des zones éloignées, soit largement en-dehors des quelques heures de soit-disant sécurité [4] et de la zone précise de la pulvérisation. Ce qui veut dire que, si un pesticide a été pulvérisé, disons à minuit, sur un champ jouxtant votre jardin, il en restera des particules dans l’air le lendemain toute la journée et le surlendemain au moins toute la journée. Des particules que vos enfants et vous-même inhalerez et qui, de plus, se déposeront finalement durablement dans votre sol et sur vos fruits et légumes. Quant aux néonicotinoïdes, l’effet sera plus long mais ils se répandront inévitablement dans votre sol, quelques mois, un an ou deux après l’ensemencement, selon les conditions météorologiques.

Wavre se veut "commune Maya" [5] et l’échevin de l’environnement, Luc Gillard, est très fier de la Journée de l’Abeille que le Service Environnement organise. Mais une journée par an pour rappeler le rôle essentiel que les insectes pollinisateurs jouent dans notre vie (est-il utile de rappeler que sans eux une majorité de nos fruits et légumes disparaîtront ?) est-il cohérent avec une absence totale de politique dans la gestion des pesticides qui, partout autour de Wavre, contribuent à leur disparition ? Car, à Wavre, on ne gère pas les pesticides. On les subit.


[2Le bilan jaunisse après cette première année sans néonicotinoïdes dans l’enrobage des semences de betterave sucrière (novembre 2019)
https://www.irbab-kbivb.be/wp-content/uploads/2019/11/Betteravier-Jaunisse.pdf

[3Pesticides en Wallonie : état des lieux et perspectives (7 novembre 2018)
https://www.wallonie.be/fr/actualites/pesticides-en-wallonie-etat-des-lieux-et-perspectives

[4Mesures de pesticides dans l’air et dans les dépôts en bordurede champs lors d’opérations de pulvérisation (49e congrès du Groupe Français de recherche sur les Pesticides, 21-24 mai 2019, Montpellier) - http://www.gfpesticides.org/bdd_fichiers/410e8a6be8a909d115d92bde534259d2d196c42c13e.pdf

Par Patrick Pinchart

Patrick Pinchart a travaillé toute sa vie dans la communication. Animateur à la RTBF, rédacteur en chef de Spirou à deux reprises, éditeur de bande dessinée, agent pour auteurs (BD, littérature...), correcteur, éditorialiste polémiste, il a de multiples autres collaborations : militant pour Amnesty International, Ecolo, Greenpeace, le WWF. Entre autres... Il s’exprime ici en son nom propre et en aucun cas au nom de ces différentes organisations. Il est également brasseur, fondateur de la brasserie HOPposition.