Considérée comme "non essentielle" tout au long des premières vagues de la pandémie, la culture a été à nouveau sacrifiée en fin d’année 2021 par le Comité de concertation (Codeco) belge. Pour les fêtes, il est permis de s’engouffrer dans les grandes surfaces pour y faire le plein de denrées festives, il est permis de s’entasser dans les bars et cafés, il est permis de s’empiffrer dans les restaurants, mais il est illégal de s’asseoir dans une salle de spectacle pour écouter un concert ou un récital, assister à une pièce de théâtre ou visionner un film. Il est temps de dire "zut !" à ces atteintes à notre droit fondamental à la culture, plusieurs fois mis à mal depuis deux ans.

C’était il y a peu. A l’entrée de la Sucrerie, où j’allais écouter un concert, on vérifiait si j’avais bien le "pass" permettant de garantir autant que possible une protection contre le virus. On mettait à ma disposition du gel désinfectant dès l’entrée. A l’intérieur, tout le monde portait un masque limitant la dissémination éventuelle de miasmes covidaux.

C’était il y a peu. Dans le hall d’entrée du Ciné-Centre à Rixensart, tout le monde portait un masque. Du gel désinfectant était à notre disposition. Le "pass" était contrôlé. Le masque était d’application pour les mouvements éventuels. Chacun était bien entendu sagement assis, le visage tourné vers l’écran. Et la plupart des gens les maintenaient sur leur visage tout au long de la séance. Finalement, on s’habitue, on ne le sent plus.

Deux exemples qui démontrent combien le monde de la culture a pris au sérieux la menace et imposé dès règles strictes pour protéger tous ceux qui se rendaient dans les salles. Sans compter les dispositifs coûteux qui ont été mis en place et dont nous ne sommes pas conscients, les aérations, les intruments de mesure, etc.

Des exemples comme ceux-là, vous en avez tous en tête. Les responsables de ces salles ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour contrer la propagation du virus. Comme nombre de restaurateurs, de tenanciers de bars et de cafés. Pourquoi, alors, s’acharner sur un monde aussi vital pour notre équilibre mental qu’est celui de la culture ?

Pas essentielle la culture ?

Il faudra longtemps avant que cette injure soit lavée. La culture, c’est tout ce qui nous apporte du bonheur, ce sont les films, les musiques, les livres, les bandes dessinées, les peintures, les sculptures, le théâtre, le cirque... Pas essentiels Mozart, Vivaldi, Stromae, Brel, Angèle, Freddie Mercury, Ennio Morricone, le Grand Jojo (poursuivez la liste en fonction de vos goûts personnels ou de votre génération) ? Pas essentiels Chaplin, Kubrick, Ridley Scott, Spielberg, Omar Sy, Michel Serrault, Daniel Auteuil, Fernandel, De Funès, Jack Nicholson (poursuivez la liste en fonction de vos goûts personnels ou de votre génération) ?
Ils nous émeuvent, ils nous font rire, ils nous font pleurer, ils nous font réfléchir, ils nous apportent du bonheur.

En 2020, tout le monde de la culture avait été muselée, y compris les librairies et les musées. Au moins, eux, ont échappé cette fois à cette décision cruelle, inepte, inutile, insultante et, n’ayons pas peur des mots, criminelle car certains risquent de ne pas y survivre, cette fois.

Des tractations sordides

On n’oubliera pas le précédent Codeco où l’on nous avait appris que la vis de nos libertés avait été encore plus resserrée (inutilement) pour satisfaire Bart de Wever qui ne souhaitait pas porter la responsabilité de l’interdiction d’une fête de Noël. Comment encore avoir confiance après cela ?

Nous ne sommes pas dans le secret des délibérations entre politiciens lors des Codeco, ni des tractations qu’on devine partisanes (et sans doute parfois aussi sordides que celle de Bart de Waver) qui président à leurs décisions.
Qui, au vu des réactions ahuries des experts dès leur annonce, n’ont plus rien de rationnel. En minorité par rapport aux intérêts de certains lobbys, les opposants à ces mesures n’ont pu empêcher qu’elles soient imposées, en dépit de tout bon sens, au monde culturel et aux milliers de gens à qui celui-ci apporte du bonheur.

Car ce Codeco méprise l’une des choses les plus essentielles de notre vie en la rangeant en-deçà des huitres, du foie gras, du champagne... S’agglutiner dans les grandes surfaces, les restaurants, les cafés, les bars, c’est bien. S’asseoir dans une salle de spectacle et profiter, assis, d’un concert, d’un film, d’une pièce de théâtre, c’est mal.

Qui veut de ce monde-là ?

"Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté", nous dit la Constitution belge, qui garantit "[…] les droits économiques, sociaux et culturels […] qui comprennent notamment […] le droit à l’épanouissement culturel et social."

L’article 27 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme stipule que "toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts[…]"

Un monde sans musique, sans cinéma, sans culture, c’est celui que les Talibans imposent au peuple afghan. La comparaison est volontairement outrancière mais ce Codeco a fait du talibanisme et on ne le laissera pas continuer sur cette voie.

Voici venu le temps de dire "Zut !" et de soutenir tous ceux qui, dans le monde du spectacle et de la culture, choisiront de résister à ces mesures insensées. Le tollé est tellement généralisé qu’on peut espérer qu’ils et elles seront nombreux(ses) et que leurs voix seront entendues. Avant qu’elles se transforment en révolte.

Car la confiance est définitivement rompue.

Par Patrick Pinchart

Patrick Pinchart a travaillé toute sa vie dans la communication. Animateur à la RTBF, rédacteur en chef de Spirou à deux reprises, éditeur de bande dessinée, agent pour auteurs (BD, littérature...), correcteur, éditorialiste polémiste, il a de multiples autres collaborations : militant pour Amnesty International, Ecolo, Greenpeace, le WWF. Entre autres... Il s’exprime ici en son nom propre et en aucun cas au nom de ces différentes organisations. Il est également brasseur, fondateur de la brasserie HOPposition.